Témoignage (Muriel Salmona 2022) - Souffrance & travail | Thérapie & Conseil | J-L Mendez, Psychologue

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SALMONA, M (2022). Témoignage. Le livre noir des violences sexuelles - 3e éd. Dunod, pp. LI-LIII.

 

 
 
Mai 2012
 


 
« J’ai rencontré un psychiatre pour la première fois à l’âge de 17 ans lorsque j’ai été hospitalisée en psychiatrie pour des crises de tétanie, des angoisses et des hallucinations. Peu de temps après, j’ai demandé un suivi en psychothérapie, car je me sentais vraiment mal et je pensais souvent au suicide. J’ai alors vu, chaque semaine, une psychologue au centre psychothérapique de mon secteur. Elle ne me parlait pas, ne répondait pas à mes questions, elle écoutait ce que je disais. Durant cette période, j’ai effectué de nombreux séjours en hôpital psychiatrique, environ une quinzaine, d’une durée allant de quelques jours à plusieurs mois, pour des angoisses importantes, des hallucinations, de la dissociation et quelques tentatives de suicide. J’ai été suivie par la psychologue et par différents psychiatres du secteur pendant 7 ans. J’ai mené par la suite une vie à peu près normale, jusqu’au jour où je me suis séparée de mon compagnon, après avoir subi plusieurs années de violence morale. Je me suis alors effondrée psychologiquement. J’ai cherché une aide et j’ai commencé un suivi, au centre de santé de ma ville, avec une thérapeute spécialisée dans les problèmes de couples. Elle ne me parlait pas, ne répondait pas à mes questions, elle m’écoutait. J’ai vu cette thérapeute chaque semaine pendant 6 années durant lesquelles les violences physiques, psychologiques et sexuelles que j’avais subies dans le passé ont resurgi à ma mémoire de façon envahissante. Je souffrais de troubles physiques et psychiques importants et j’ai été à nouveau hospitalisée en psychiatrie. Je pensais que j’étais folle, mais en même temps, je voulais savoir de quelle maladie je souffrais. J’avais besoin de mettre un nom sur ma souffrance. J’ai alors pris rendez-vous dans un service spécialisé de l’hôpital Sainte-Anne pour effectuer un diagnostic. Le psychiatre que j’ai rencontré m’a reçue 15 minutes et m’a fait comprendre que j’étais borderline. J’ai lu de nombreuses informations concernant cette appellation, mais je ne me suis pas reconnue dans ce qui était dit et décrit.
 
Ma thérapie se poursuivant, je cherchais toujours à savoir de quoi je souffrais. J’ai trouvé sur Internet le forum d’Alice Miller, auquel j’ai participé. Alice Miller est la thérapeute qui a dénoncé les maltraitances que les adultes, principalement les parents, font subir aux enfants. C’était la première fois que je pouvais dire et raconter les violences que j’avais subies, que des personnes m’écoutaient, me croyaient, s’indignaient et me comprenaient. Ces personnes n’étaient pas thérapeutes, mais c’est avec elles que j’ai commencé à désamorcer les violences qui étaient incorporées en moi. J’ai compris alors que les violences subies dans mon enfance et mon adolescence étaient à l’origine de mon mal-être, que je n’étais peut-être pas folle, mais plutôt victime de nombreuses maltraitances. Je me suis alors adressée à une association spécialisée dans l’aide aux enfants maltraités et aux adultes victimes de maltraitances dans leur enfance. J’ai pu commencer une thérapie et, pour la première fois, j’étais face à une psychothérapeute avec qui je pouvais vraiment échanger. Elle me parlait et répondait à mes questions. Un an plus tard, elle est partie en province. À cette époque, je ne sortais plus de chez moi en dehors de ma thérapie, de mon travail et des courses. Prendre les transports m’était difficile. Je me retirais du monde. Des symptômes avaient resurgi et je souffrais de troubles physiques et psychiques invalidants. J’ai dû trouver une psychiatre pour m’aider. Celle-ci m’a accompagnée durant 7 ans. Il y eut des moments difficiles, car en période de crise, elle me proposait un traitement pour plusieurs années, durée que je refusais sans cesse parce que je souhaitais, je demandais à être soignée avec un traitement à court terme et surtout avec un objectif de guérison.
 
En parallèle, j’avais commencé une nouvelle thérapie avec une psychologue d’une association d’aide aux victimes de violences familiales. Face à mes interrogations, celle-ci avait évoqué comme diagnostic possible le stress post-traumatique. Je ne connaissais pas. Je voulais savoir si c’était bien de cela que je souffrais. J’ai alors cherché et lu tout ce que j’ai pu trouver concernant les traumatismes psychiques, le stress post-traumatique et la victimologie. Au cours de mes recherches, j’ai eu connaissance d’un centre spécialisé dans le traitement des psychotraumatismes. J’ai pris contact afin d’obtenir un rendez-vous pour un diagnostic. Ils ont simplement refusé de me recevoir. Sans aucune explication. Ce refus m’a beaucoup affectée, j’étais découragée et très abattue, j’avais perdu confiance, et j’avais toujours ce sentiment profond de ne pas être considérée comme un être humain à part entière.
 
Il y a deux ans environ, souffrant de crises envahissantes pouvant surgir à tout moment, et toujours en recherche d’un diagnostic, je suis arrivée sur le site internet Mémoire Traumatique et Victimologie. Toutes les informations que je lisais sur ce site correspondaient exactement à ce que je ressentais à l’intérieur de moi, à l’enfer que je vivais au quotidien. Apprendre que les troubles physiques et psychiques qui me paniquaient étaient normaux fut une information extraordinaire. Comprendre comment fonctionnait l’intérieur de mon cerveau et de mon corps pendant et après les violences était inespéré. Ainsi, je n’étais pas folle, c’était les violences physiques, psychologiques et sexuelles que j’avais subies qui provoquaient mes troubles, cela ne venait pas de moi, tout était normal. J’avais juste développé des mémoires traumatiques qui pouvaient être soignées. Je pouvais donc guérir. Depuis ma première rencontre avec un psychiatre, 36 années se sont écoulées. 36 années durant lesquelles j’ai croisé sur ma route environ 21 psychiatres et 10 psychologues, sans jamais trouver réellement ce dont j’avais besoin. Trente-six années de questionnement sur moi-même, de recherche, de lutte, d’espoir et de désespoir, et surtout, d’une solitude immense. À ce jour, je désespère encore d’entendre dire qu’il faut « avoir de la chance » pour trouver un suivi avec des personnes vraiment compétentes, et pouvoir prétendre à vivre, quand on a été victime de violences. »
correspondance : Jean-Louis MENDEZ
10 Rue Notre-Dame 77000 MELUN
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